|

La bienveillance à l’ère du
« greatwashing »* : halte là !

Difficile d’échapper à la bienveillance ou plutôt à l’injonction à la bienveillance tant celle-ci a envahi tous les domaines de nos vies : l’éducation, les organisations de travail, le management, le développement personnel… La bienveillance est venue toquer à la porte de tous les rapports humains  en s’imposant comme une règle du jeu interactionnelle « tout terrain » , une évidence indiscutable et trop souvent indiscutée pour pouvoir en partager le sens. Sans surprise, les impacts dans les relations sont peu convaincants voire délétères tant ce galvaudage contient des contradictions et conduit à des fausses routes interprétatives. Alors, doit-on jeter la bienveillance aux orties ?

 

La bienveillance serait-elle devenue nocive ?

D’après le dictionnaire étymologique de « la langue française » (B. de Roquefort, 1829) la bienveillance vient de « bona vigilantia », la bonne vigilance ou le fait de « bien veiller ». Elle est associée, au départ, à l’idée d’attention soigneuse, à une disponibilité pleine et entière au service de l’autre. Dans son sens originel, la bienveillance relève donc plus d’une disposition intérieure tournée vers l’autre que d’une technique pourtant aujourd’hui enseignée et posée en norme comportementale.

Et c’est peut-être là que le bât blesse le plus… La bienveillance si elle est décrétée, imposée, érigée en norme conduit à une impasse, comme toutes les injonctions paradoxales. Plus elle est obligée moins elle participe d’un mouvement intérieur, spontané et authentique. Et plus elle est dévoyée.

En se transformant en diktat, la bienveillance a été souvent réduite au rang d’outil et son utilisation limitée à un usage mécanique, en cas notamment de panne ou de grippage relationnels.

Pour résoudre vite et bien un problème, « l’outil bienveillance » est dégainé. L’intention positive, l’attention pour l’autre passent au second plan, la logique utilitaire prend le dessus.

Sans effet me direz-vous, ni bon mais ni mauvais non plus, juste un coup d’épée dans l’eau !? Pas si sûr. L’être humain est très fort (pardon pour cette généralité) pour repérer l’inauthenticité. Dans les organisations qui en ont fait une profession de foi, la bienveillance si elle a été instrumentalisée, a installé la distance, le doute voire la défiance dans les relations en renforçant des pratiques relationnelles au contraire nocives : complaisance, faux compliments, non-dits… L’exact inverse des effets recherchés et affichés !

Car la bienveillance est aussi utilisée pour s’exonérer de courage, pour éviter de dire les choses, de prendre les décisions difficiles, de provoquer les confrontations, de dire non.  Sous couvert de bienveillance, la passivité s’installe, on laisse « filer », les responsabilités se délitent.   Mortifère aussi pour l’écologie des relations…

Ces sorties de routes sont dommageables et la bienveillance est d’une certaine façon victime de son succès.

Or, la bienveillance, l’authentique, se vit plus qu’elle ne se proclame. Elle se traduit par des actes sobres comme écouter vraiment, savoir donner une attention discrète mais profonde, faire un remerciement ajusté, exprimer de la reconnaissance sincère.

Pour ne pas tomber dans le piège du « greatwashing », la bienveillance mériterait de faire l’objet de moins de communication et d’incantation et beaucoup plus d’un langage d’actes quotidiens initié par le haut (le management dans les organisations, les parents dans les familles…) pour être contagieuse.

Car la bienveillance est une belle occasion d’identifier ses intentions dans ses relations, de progresser dans son discernement pour avancer dans la confiance et la responsabilité pour soi et au profit des autres. Quel beau cheval de bataille !


Et vous quelle image avez-vous de la bienveillance ? Et comment la cultivez-vous ?

Si vous souhaitez poursuivre cette discussion, vous êtes au bon endroit, car nous sommes convaincus qu’un management bienveillant « vécu et non proclamé », est un puissant levier d’innovation managériale

*La notion de « greatwashing » a été théorisée par Jean-Christophe Vuattoux et Tarik Chakor, maîtres de conférence en science de gestion.